Piqure de rappel sur les délais de paiement, par Timo Rainio, Avocat
« Ne me parlez pas de mes dettes, à moins que vous ne vouliez les payer ».
George Herbert Extrait de Jacula prudentum
Les entreprises françaises sont parfois soumises à des malaises de santé concernant les délais de paiement. En effet, un paiement tardif peut entrainer pour une entreprise d’importants problèmes de trésorerie. Il peut exister un risque de dépôt de bilan en cas de retards de paiement ou « défauts d’alimentation ».
La Loi de Modernisation de l’Économie (LME) du 4 août 2008 a prévu des délais de paiement raccourcis pour lutter contre ces problèmes de trésorerie des entreprises françaises.
En 2009, la DGCCRF a établit que 9/10èmes des entreprises avaient respecté les nouveaux délais de paiement, les dépassements se limitant à 2 - 5 jours.
Ces moyens légaux pour limiter l’épidémie des retards de paiement a été bénéfique aux PME (notamment le secteur des services) puisqu’on évalue l’économie réalisée à environ un milliard d’euros (selon le rapport de l’observatoire des délais de paiement présenté par Monsieur Jean Paul BETBEZE).
I. Le texte de loi
L’article L.441-6 du code de commerce modifié par la loi n°2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives prescrit :
« I.-Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Celles-ci constituent le socle de la négociation commerciale. Elles comprennent :
-les conditions de vente ;
-le barème des prix unitaires ;
-les réductions de prix ;
-les conditions de règlement.
Les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services. Dans ce cas, l'obligation de communication prescrite au premier alinéa porte sur les conditions générales de vente applicables aux acheteurs de produits ou aux demandeurs de prestation de services d'une même catégorie.
Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l'obligation de communication prescrite au premier alinéa.
Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée.
Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture.
Les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent. Ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords sont conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs.
Nonobstant les dispositions précédentes, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture.
Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Dans ce cas, le taux applicable pendant le premier semestre de l'année concernée est le taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question. Pour le second semestre de l'année concernée, il est le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification. Toutefois, le créancier ne peut invoquer le bénéfice de ces indemnités lorsque l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire interdit le paiement à son échéance de la créance qui lui est due.
La communication prévue au premier alinéa s'effectue par tout moyen conforme aux usages de la profession.
Est puni d'une amende de 15 000 euros le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième et onzième alinéas, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa ainsi que le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes aux dispositions du même alinéa.
II.-Lorsque le prix d'un service ou d'un type de service ne peut être déterminé a priori ou indiqué avec exactitude, le prestataire de services est tenu de communiquer au destinataire qui en fait la demande la méthode de calcul du prix permettant de vérifier ce dernier, ou un devis suffisamment détaillé.
III.-Tout prestataire de services est également tenu à l'égard de tout destinataire de prestations de services des obligations d'information définies à l'article L. 111-2 du code de la consommation.
Cette obligation ne s'applique pas aux services mentionnés aux livres Ier à III et au titre V du livre V du code monétaire et financier ainsi qu'aux opérations pratiquées par les entreprises régies par le code des assurances, par les mutuelles et unions régies par le livre II du code de la mutualité et par les institutions de prévoyance et unions régies par le titre III du livre IX du code de la sécurité sociale.
IV.-Sous réserve de dispositions spécifiques plus favorables au créancier, lorsqu'une procédure d'acceptation ou de vérification permettant de certifier la conformité des marchandises ou des services au contrat est prévue, la durée de cette procédure est fixée conformément aux bonnes pratiques et usages commerciaux et, en tout état de cause, n'excède pas trente jours à compter de la date de réception des marchandises ou de réalisation de la prestation des services, à moins qu'il n'en soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas une clause ou pratique abusive au sens de l'article L. 442-6.
V. - Pour les livraisons de marchandises qui font l'objet d'une importation dans le territoire fiscal des départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte ainsi que des collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, les délais de paiement prévus aux huitième et neuvième alinéas du I du présent article sont décomptés à partir de la date de dédouanement de la marchandise au port de destination finale. Lorsque la marchandise est mise à la disposition de l'acheteur, ou de son représentant, en métropole, le délai est décompté à partir du vingt et unième jour suivant la date de cette mise à disposition ou à partir de la date du dédouanement si celle-ci est antérieure. »
II. Les parties peuvent négocier leurs délais de paiement
Hormis dans les hypothèses où la loi a prévu des prescriptions médicales et légales spécifiques – ie des délais de paiement spécifiques -, les délais de paiement peuvent être librement ‘négociés’ entre les parties.
III. la loi a encadré cette « libre négociabilité » des délais de paiement
La loi LME avait prévu des limites à cette ‘libre négociabilité’ des délais de paiement entre acheteurs et vendeurs professionnels.
Ainsi, en l’absence d’accord, la loi a prévu un délai de paiement maximal : lorsqu’un fournisseur n’indique pas de délai de paiement dans ses conditions générales de vente ou s’il n’existe aucun accord entre acheteur et vendeur, un délai de 30 jours au maximum s’applique à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée.
Lorsqu’un acheteur ne respecte pas ce délai de 30 jours, il encourt une amende civile pouvant aller jusqu’à 15 000 €.
Dans les contrats entre professionnels, les acheteurs et les vendeurs peuvent prévoir un délai de paiement supérieur à 30 jours, tout en respectant, à compter du 1er janvier 2009, la limite instaurée par la loi.
Pour tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 2009, les délais de paiement ne peuvent pas, en principe, dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires à compter de la date d’émission de la facture.
Il existe deux méthodes de traitements pour calculer ce délai de 45 jours, étant entendu que le point de départ de ce délai est la date d’émission de la facture.
-Soit on ajoute 45 jours à la fin du mois d'émission de la facture : une facture datée du 3 janvier doit être payée avant le 18 mars,
-Soit on ajoute 45 jours à la date d'émission de la facture, la limite de paiement intervenant à la fin du mois au cours duquel expirent ces 45 jours : une facture datée du 3 janvier doit être payée avant le 28 ou 29 février).
Il convient de préciser que pour les livraisons dans les DOM-TOM, le délai de 60 jours se décompte à partir de la réception des marchandises.
La loi du 22 mars 2012 a quant à elle prévu à nouveau la possibilité pour les parties de conclure des accords dérogatoires comportant des délais de paiement supérieurs au plafond légal. L’article 121 de ladite loi prévoit que, « … des accords interprofessionnels peuvent définir des délais de paiement supérieurs à celui prévu au même neuvième alinéa, sous réserve :
1° Qu'ils portent sur des ventes de produits ou des prestations de services relevant de secteurs ayant été couverts par un accord … et qui présentent un caractère saisonnier particulièrement marqué rendant difficile le respect du délai prévu au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du Code de commerce ;
2° Qu'ils fixent des délais inférieurs aux délais de paiement applicables au 31 décembre 2011 ….
Ces accords sont conclus avant le premier jour du septième mois suivant la publication de la présente loi. Ils fixent leur durée de validité, qui ne peut être supérieure à trois ans.
Ils sont reconnus comme satisfaisant aux conditions prévues au présent III par décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence. Ce décret peut étendre le bénéfice des délais de paiement dérogatoires à tous les opérateurs dont l'activité est couverte par l'accord. »
IV. Les parties peuvent prévoir des pénalités de retard.
Si l’une des parties ne respecte pas le délai de paiement, la loi a envisagé la possibilité pour les parties de prévoir des pénalités de retard.
La facture doit alors stipuler la date de règlement et le taux des pénalités de retard. Les conditions générales de vente (CGV) doivent également stipuler les conditions d’application et le taux des pénalités de retard.
Le taux des pénalités de retard prévu par la loi est celui de la Banque Centrale Européenne majoré de 10 points de pourcentage. Toutefois, la loi du 22 mars 2012 a prévu qu’à compter du 1er janvier 2013, le taux de pénalités de retard applicable pendant le premier semestre de l’année concernée est celui de la Banque Centrale Européenne en vigueur au 1er janvier de l’année concernée ; pour le second semestre de l'année concernée, c’est le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question (article L441-6, I, alinéa 12).
Les entreprises peuvent convenir d’un autre taux mais celui-ci ne doit pas être inférieur à 3 fois le taux d’intérêt légal (soit 0,12 % pour 2013…).
Les pénalités doivent être calculées sur le montant TTC. Elles sont exigibles, sans qu’un rappel soit nécessaire, dès le lendemain de la date de règlement indiquée sur la facture.
Par ailleurs, désormais, tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, de 40 €, à l'occasion de tout retard de paiement, même pour les contrats conclus avant cette date.
L'indemnité ne s'applique pas si le débiteur est en cours de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.
Ce montant forfaitaire s'ajoute aux pénalités de retard, mais n'est pas inclus dans la base de calcul des pénalités.
L'indemnité doit être mentionnée dans les conditions de règlement de tous les documents contractuels, notamment : dans les CGV et sur les factures.
Si les frais de recouvrement réellement engagés sont supérieurs à ce montant forfaitaire, notamment en cas de recours à un cabinet chargé des relances et mises en demeure, une indemnisation complémentaire sur justification peut être demandée.
Comme les pénalités de retard, l'indemnité est due dès le lendemain de la date d'échéance.
L'indemnité s'applique à chaque facture payée en retard, et non à l'ensemble des factures concernées. Elle est due par facture.
Si les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification, étant précisé que l’invocation du bénéfice de ces indemnités n’est pas possible dans le cas de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, qui interdit le paiement à son échéance de la créance qui lui est due.
Une amende civile de pouvant aller jusqu’à 15 000 € est prévue pour les personnes physiques et jusqu’à 75 000 € pour les personnes morales lorsque les Conditions Générales de Vente et/ou les factures du fournisseur ne comportent pas un certains nombres d’indications sur les pénalités de retard :
- Ainsi, les Conditions Générales de Vente du fournisseur doivent préciser l’existence (ou non) de pénalités de retard, que celles-ci débutent dès le lendemain de la date de règlement sur la facture et que le taux des pénalités précisé est inférieur à 3 fois le taux légal.
- Les factures du fournisseur doivent également mentionner le taux de ces pénalités de retard.
V. Il existe des délais de paiement obligatoires pour certains produits ou services
La loi a prévu des délais de paiement obligatoires pour certains produits ou services auxquels les acheteurs et les vendeurs ne peuvent déroger.
Domaine des produits alimentaires :
Le paiement des produits périssables ne doit pas dépasser les délais suivants.
Produits ne se conservant pas : • viandes et poissons congelés, • plats cuisinés, • conserves contenant des produits périssables (sauf les produits saisonniers dans le cadre d'une contrat entre producteurs et industriels) : 30 jours après la fin de la décade de livraison (par exemple, pour une livraison le 5 du mois, calcul des 30 jours à partir du 10 du mois)
Bétail sur pied (vivant) et viandes fraîches, destinés à la consommation : 20 jours après la livraison
Alcools soumis aux droits de consommation (armagnac, cognac, eaux de vie, gin, rhum, vodka, par exemple) : 30 jours après la fin du mois de livraison
Raisins et moûts pour la fabrication du vin et alcools passibles du droit de la circulation (vins comme le champagne, le cidre, le pétillant de raisin, le mousseux), en l'absence d'accords interprofessionnels : 45 jours fin de mois ou 60 jours à partir de la facturation
Domaine des Alcools :
- Boissons alcooliques (rhum, eaux de vie, liqueurs, cognacs, armagnacs, whiskies, gin, genièvre, araks, vodkas…) : 30 jours après la fin du mois de livraison.
- Vins, cidres… : Un acompte d’au moins 15 % devra être versé dans les 10 jours suivant la conclusion du contrat : 45 jours fin de mois ou 60 jours après la date d’émission de la facture (à défaut d’accords interprofessionnels rendus obligatoires par voie réglementaire à tous les opérateurs sur l’ensemble du territoire métropolitain).
Domaine des transports :
- Transports routiers de marchandises, location de véhicule (avec ou sans chauffeur)… : 30 jours à compter de la date d’émission de la facture (amende de 15 000 €).
Domaine des marchés publics :
- État et établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial : 30 jours à compter de la réception de la demande de paiement (en principe).
- Collectivités territoriales et établissements publics locaux : 40 jours à partir du 01/01/09, 35 jours à partir du 01/01/10, puis 30 jours à partir du 01/07/10 à compter de la réception de la demande de paiement.
- Établissements publics de santé : 50 jours à compter de la réception de la demande de paiement.
VI. Il existe également des délais de paiement dérogatoires accordés temporairement à certains secteurs
Il existe également des délais de paiement dérogatoires temporaires accordés à certains secteurs en raison d’une rotation particulière de leur stocks par exemple. Ces secteurs sont particulièrement nombreux : secteur du bâtiment, du jouet, du bricolage (liste des accords dérogatoires disponible à cette adresse : http://www.dgccrf.bercy.gouv.fr/documentation/lme/derogations_delais_paiement.htm).
Il convient de noter que si une partie ne respecte pas ces délais de paiement dérogatoires, le retard de paiement sera considéré comme ‘abusif’ et pourra entrainer la responsabilité civile de la partie qui l’aura fixé et le paiement d’une amende pouvant aller jusqu’à 2 000 000 d’euros.
Dernièrement une proposition de loi émanant de Hervé GAYMARD – loi n°2010-97 du 17 janvier 2010 a prévu des dispositions spécifiques pour les délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre (est inclus le secteur de l’imprimerie ayant des relations avec le secteur du livre). Les organisations professionnelles du secteur du livre pourront donc désormais négocier des délais de paiement spécifiques.
VII. Conclusion
L’obligation prescrite par l’article L.441-6 du code de commerce et les sanctions attachées ne doivent pas être considérées comme des obligations « de forme ». Ainsi, le Tribunal de commerce de LILLE vient de rendre un jugement fondé sur cet article L. 441-6 condamnant une grande enseigne à une amende civile de 300 000 € et ordonnant la cessation des pratiques jugées abusives (Tribunal de commerce de LILLE, 6 Janvier 2010, N° 2009-05184, Numéro JurisData : 2010-000338). Un fournisseur de cette enseigne avait averti le Ministre de l’économie qui a assigné l’enseigne.
…Un homme averti en vaut deux !
(mise à jour : 21 mars 2013)