A propos du projet de la loi intitulé "loi de programmation de la Justice" :
Eloignement du justiciable par rapport au Juge - Cout et délais pour accéder à un juge augmentés - projet de loi et de société inquiétant. Opinion.
A propos du projet de la loi intitulé "loi de programmation de la Justice" :
Eloignement du justiciable par rapport au Juge - Cout et délais pour accéder à un juge augmentés - projet de loi et de société inquiétant. Opinion.
Le projet de la loi intitulé « loi de programmation de la Justice », va être transmis au Sénat le 25 avril 2018.
Ce projet de loi est - en l'état - inquiétant et critiquable pour les justiciables et pour les auxiliaires de justice car les mesures proposées ont principalement pour effets d'éloigner le justiciable du juge et de rendre la saisine du juge plus compliquée et plus coûteuse.
Les avocats, les greffiers, certains syndicats de magistrats ont beaucoup manifesté contre ce projet. Cependant, pour le moment, le Gouvernement ne semble pas beaucoup prendre en consideration les alertes et inquiétudes des professionnels de la justice.
Les principales mesures contestées de ce projet de loi sont les suivantes :
Cette mesure est critiquable car il n'est pas judicieux de forcer des parties à un contentieux à concilier. En effet, la conciliation, la médiation ou la transaction implique des concessions réciproques qui ne peuvent avoir lieu …en forçant les parties à y arriver.
En pratique, ce recours préalable à la conciliation obligatoire va restreindre l’accès au juge pour les personnes qui n’auront pas les moyens de rémunérer un conciliateur, un médiateur et/ou un avocat ou pour les litiges peu important.
De plus, il y a des litiges particuliers pour lesquels la médiation est contre-productive et idiote (comme toute mesure appliquée de manière générale sans distinction de cas particulier).
Cette obligation de saisir un médiateur ou un conciliateur risque ainsi de réduire l’accès à la Justice, d'augmenter les frais de justice, d'allonger la durée des procédures et finalement dissuadera le citoyen d'engager un contentieux.
Pour obliger les parties à la conciliation, le projet de loi prévoit également de faire intervenir des sociétés commerciales actuellement à la mode dites des "Legaltechs", en leur permettant de fournir un service en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage.
Ce service commercial de médiation sera bien évidemment payant...et nécessaire pour saisir un juge (sauf autre processus de tentative de médiation).
Le projet de loi autorise par ailleurs ces sociétés commerciales à proposer des solutions juridiques résultant d’un traitement par algorithmes ou automatisé selon des statistiques des décisions rendues.
Par contre, il faudra que la situation des parties et les faits entrent dans les bonnes cases prévues par le site internet...
Cette possibilité est présentée comme une "innovation".
Certes, cela peut effectivement être une innovation technique (le fait de se baser sur des programmes informatiques reprenant des données et des statistiques de décisions de justice un peu comme pour le precedent avec la common law) mais cela n'est pas une innovation en terme de "solution juridique" en droit 'latin', c'est à dire une solution 'innovante' se basant sur des textes nouveaux ou des textes internationaux ou européens ou des "nouvelles" jurisprudences...
Une "standardisation" des décisions de justice, basées sur des statistiques et des algorithmes est une mauvaise idée et risque de créer des décisions injustes.
Une décision de justice destinée à être appliquée à un être humain doit être rendue par un autre être humain et non par un programme informatique ou par un processus administratif automatisé.
- Tous les Tribunaux d’instance sont supprimés au profit de la création de pôles de spécialisation dans les Tribunaux de Grande Instance :
Madame La Garde des Sceaux a confirmé le maintien de tous les « lieux de juridiction » ... (il faut lui reconnaitre ce bel élément de langage !).
Oui mais... le projet de loi prévoit la suppression de tous les Tribunaux d’instance - en tant que juridiction autonome -.
Les Tribunaux d’instance sont remplacés par des chambres détachées du Tribunal de Grande Instance avec des compétences matérielles distinctes.
Or s'il existe plusieurs Tribunaux de Grande Instance dans un même département, un Tribunal de Grande Instance pourra être désigné par le gouvernement pour juger, dans l’ensemble du département, de certaines matières civiles.
En réalité et en pratique, cette mesure va transférer un contentieux spécifique sur un seul pôle de spécialisation d’un Tribunal de Grande Instance et va supprimer progressivement l'intérêt d’avoir d’autres Tribunaux de Grande Instance dans le département en question.
Le justiciable dont le litige concernant un mastère spécifique (non-paiement du loyer...etc.), devra se renseigner sur le TGI compétent, puis aller dans le Tribunal de Grande Instance désigné par le gouvernement, même si ce TGI est éloigné une centaine de kilomètres de son domicile.
Bien évidemment, le justiciable devra avoir au préalable tenté une mesure de médiation, le cas échéant via le service payant d'une société commerciale…
- Une unique juridiction nationale chargée des injonctions de payer sera créée (A Paris a priori) :
Le citoyen qui voudra demander une injonction de payer, devra compléter un formulaire et l'envoyer à
une juridiction nationale (à PARIS a priori) chargée d'examiner sa demande.
En pratique et en réalité, cette mesure va favoriser les organismes de crédits, les établissements bancaires, ou d'autres institutions qui pourront facilement saisir cette juridiction nationale à la différence des "plus petits"... (les TPE et les personnes physiques) qui seront éloignées de cette juridiction parisienne.
De plus, si le débiteur fait opposition à l'injonction de payer délivrée par cette juridiction nationale, l’audience en opposition d’injonction de payer n’est pas du tout automatique dans le projet de loi actuel.
ET, même dans l’hypothèse où une audience serait effectivement fixée, le créancier ou débiteur, personne physique, devra vraisemblablement se rendre devant cette seule juridiction nationale, a priori à Paris, pour défendre ses droits.
- Une partie du contentieux de l’Etat civil (identité des personnes) sera confiée aux Notaires :
Le projet de loi prévoit le transfert de la reconstitution des actes d’Etat civil, des Tribunaux au profit des notaires.
Le problème est que cette compétence de l'identité du citoyen doit relever des compétences d'un Juge, sous le contrôle du Parquet Civil, et pas d'une étude notariale, aussi compétente soit-elle !
De plus, il est peu probable que les notaires exerceront ces ‘formalités’ régaliennes de manière philanthropique. Le cout d'un acte notarié sera également un frein pour les citoyens les plus pauvres.
- Les demandes de fixation et de révision de pension alimentaire seront confiées au Caisses d’Allocations Familiales et non plus à un Juge Aux Affaires Familiales :
Le Juge aux Affaires Familiales serait progressivement remplacé par le directeur de la CAF pour les révisions des pensions alimentaires.
Or … les Caisses d’Allocations Familiales ont un intérêt à fixer des pensions alimentaires ...plutôt qu’à verser des aides éventuelles.
Les CAF ne sont pas neutres dans une telle procédure.
Mais cela permet à l'Etat d'économiser le coût "d'un" Juge Aux Affaires Familiales.
- Le rôle et les compétences du Juge des Tutelles seront "externalisés" :
Le projet de loi prévoit une externalisation de la vérification des comptes de gestion des majeurs protégés.
Le contrôle du juge des tutelles de la gestion des comptes par les tuteurs et curateurs sera drastiquement limité.
En pratique, cela reporte le cout de cette vérification 'externe' sur la société civile (a priori sur les personnes et les familles concernées) et non plus sur l'Etat, alors que l'Etat a en principe ce rôle de protéger les personnes vulnérables sous tutelle ou sous curatelle.
- Les litiges de faible montant seront traités par voie dématérialisée :
Ce projet de loi prévoit que les « demandes formées devant le tribunal de grande instance en paiement d’une somme n’excédant pas un montant » pourront être traitées de façon dématérialisée, sans audience.
Le Tribunal pourra rejeter la demande de l'Avocat pour avoir une audience.
Le problème est que ce projet ne tient pas "compte" du fait qu’une action en justice n'a pas - forcément - qu'un objectif financier.
Une action en justice est parfois engagée dans une démarche morale ou sociale et non financière : Pour que la faute de l'autre partie soit reconnue (même si cela ne rapporte rien, et parfois, surtout si ça ne rapporte rien et si ça ennuie l'autre partie). Cela est une partie intégrante de la ‘justice sociale’ dans une société démocratique (avec des êtres humains à l’intérieur).
Une action en justice n'a pas forcément pour objectif une condamnation de l'autre partie à payer des sommes d'argent. Une action en justice peut avoir pour base une demande de condamnation à l'euro symbolique, ou viser à voir et à entendre le Juge.
- Extension de la compétence juridictionnelle à juge unique pour des dizaines de nouveaux délits :
Le projet de loi prévoit une extension de la compétence juridictionnelle à juge unique pour des dizaines de nouveaux délits (infractions à la vie privée, délits du code de la construction, etc.), et une extension du juge unique correctionnel en cause d’appel.
- Réduction des droits des victimes dans une affaire pénale :
Les droits des victimes sont réduits avec la mise en place d’un système de dépôt de plainte en ligne et l’allongement de la durée avant de pouvoir déposer plainte avec constitution de partie civile (ce délai passant de 3 à 6 mois à compter du dépôt d’une plainte simple sans réponse du Parquet).
Par ailleurs, le juge d’instruction pourra refuser d’instruire lorsque les faits auraient pu faire l’objet d’une citation directe devant le Tribunal correctionnel.
- En Conclusion :
Ce projet installe doucement une dématérialisation et finalement une 'déshumanisation' de la justice, et c'est une mauvaise et très dangereuse idée car la justice doit rester une affaire d'humains entre humains, même si ça coute trop cher.
Même si ce projet n’installe pas des systèmes automatisés pour tous les contentieux et ne va pas détruire notre société démocratique (ouf…), je pense qu’il installe doucement une différenciation entre les citoyens en compliquant vraiment, en pratique et en réalité, l’accès au juge pour les citoyens dont les contentieux sont estimés ‘pas très important’ (les pensions alimentaires, les petits litiges de faibles montants, les injonctions de payer…).
La justice ne doit pas être une affaire d'algorithmes et./ou de procédures administratives via l'internet connue uniquement des sachant, des intelligents ...ou des riches (et) habitant dans les grandes villes.
Une décision de justice rendue quasi automatiquement sans la visibilité par les parties d'une réelle et sincère intervention humaine (d'un juge), d'une analyse des faits, d'une réflexion humaine, peut etre aisément considérée comme injuste.
Comme d'habitude, certains justiciables et avocats s'adapteront à ce nouveau projet de loi (enfin, ils devront s'adapter).
Par contre, pour certains 'autres', par exemple :
-les 'autres' qui sont fauchés, -les 'autres' qui trouvent qu'avoir justice est actuellement trop long,
-les 'autres' qui habitent dans des coins paumés,-les 'autres' qui n'utilisent pas d'ordinateur/smartphone/tablette,
-les 'autres' qui sont pauvres, ou les classes moyennes pas assez pauvres et/ou pas assez riches,
-les 'autres' qui sont sous tutelle / curatelle et leur famille,
-les 'autres' pour lesquels l'affaire n'est 'pas très importante' selon la société,
-les 'autres' qui sont 'inadaptés' ou 'inadaptables', -les autres...
...Et bien, ce sera un peu plus compliqué... et tant pis pour eux !! ;)
Sauf que rien n'est jamais totalement acquis, on peut parfois facilement et rapidement intégrer ce fameux groupe des 'autres'...
Les termes utilsés dans cet article ne sont pas provocateurs, ils sont réalistes. La mode actuelle de l'Etat d'économiser partout où cela est envisageable ne doit pas justifier des différences de traitement entre les citoyens riches et pauvres, ce qu'entraine ce (mauvais) projet de loi, tél qu’il est, à ce jour.
Timo RAINIO
Avocat
Nos Avocats vous assistent et conseillent, ainsi que votre entreprise, dans le cadre de contentieux devant la Cour d'appel de LYON, le Tribunal de Grande Instance, Le Tribunal de Commerce et le Conseil de Prud'hommes.
Nous pouvons vous proposer une convention d'honoraires ou un devis forfaitaire après présentation de votre affaire sur la page dédiée.
Les principaux domaines d'intervention du cabinet sont :
Par Maître Timo RAINIO
Avocat
Date de l'article : 8 mai 2018
.